2.1.11

D'une année, l'autre

Il y a peu de critique de poésie au Québec. En ce domaine la pauvre année 2010 s'est terminée par la publication dans le journal Le Devoir d'un article de Hugues Corriveau qui commentait, entre autres, le recueil «Bois de mer» de Maxime Catellier que nous avons publié il y a peu de temps. On trouvera ci-dessous la réponse que Maxime Catellier a fait parvenir ce matin à Monsieur Corriveau et au journal Le Devoir. Cette réponse nous semble juste, surtout lorsqu'elle parle des enjeux réels de la poésie, de l'état actuel de la poésie et de la critique poétique : il nous apparaît cependant que c'est moins à Hugues Corriveau lui-même qu'il faut s'en prendre qu'aux conditions dans lesquelles on impose d'exercer ce métier. Le Devoir est peut-être le seul quotidien qui laisse encore une place à la critique de poésie. Il faut cependant voir laquelle : un seul critique, toujours le même, y a droit à un espace minuscule une fois toutes les deux ou trois semaines. C'est bien peu pour se dépatouiller dans la masse des recueils de poésie qui portent une logorrhée de «poèmes» sans être vraiment porteurs de poésie. Pour nous, bien évidemment, le recueil de Maxime Catellier est un livre d'exception qui porte, justement, cette rare poésie. Il est bien entendu que le texte qui suit est celui d'un homme en état de légitime défense qui arrive pourtant à toucher de près plusieurs questions essentielles quant au poème et à la place qu'il occupe en 2011. En le lisant on ne peut s'empêcher d'adresser mentalement à la critique la belle phrase de Breton : «Je veux qu'on se taise quand on cesse de ressentir».


Montréal, 1er janvier 2011

Cher critique de poésie,

Il y a longtemps que je m’étais promis de dire deux mots de votre travail, tant il me hérisse le poil des jambes à cœur de samedi. C’est vrai, le plus souvent, c’est votre papier que je lis en premier dans le canard du week-end. Une forme de masochisme que j’attribue davantage à l’inconscience qu’à la formalité. Et sans cesse, je me farcis ces phrases maladroites et supposément spirituelles, ces états d’âme à rabais, en me jurant chaque fois de n’y plus remettre les pieds. Je ne sais pas pourquoi je continue de vous lire, tant l’attente se fait dégoût aussi rapidement que l’éclair déchire le ciel.

Votre façon, appelons comme ça ce que vous pourriez être tenté de définir comme du style, consiste à citer des extraits des livres dont vous avez à parler – je n’ose pas dire que vous les lisez – et de faussement envisager l’ouvrage en question dans une filiation douteuse dont vous seul détenez les clés. Or, il se trouve que vous avez une piètre culture poétique, cernée par vos contemporains immédiats et nourrie par la fange désolante dans laquelle la poésie québécoise se complaît jour après jour. Une daube, oui. Harnachée à son système de bourses péremptoires, la poésie québécoise est un piteux exemple à l’heure actuelle de ce que l’on pourrait appeler la dictature de l’ambivalence. Repliée, petite, souffreteuse, elle parle à tâtons de ce qu’elle connaît trop bien; à savoir, le vague et le pseudo profond. Vous excellez d’ailleurs à en décrire les mécanismes, publiant des papiers dont la syntaxe déficiente et le contenu fantôme feraient passer Louis Ferdinand Céline pour un sain d’esprit.

Je suis bien sûr piqué par le traitement que vous faites de mon travail dans ce domaine, ayant déjà poussé le bouchon jusqu’à «diagnostiquer» (nous y reviendrons) dans mes poèmes «un penchant pervers pour les animaux», en raison d’un passage dans lequel je parlais «d’innommables chattes grises [qui] vont gésir dans les mêmes ruelles que le cadavre de la lune.» Je suppose que cette accusation à peine voilée d’un penchant zoophile n’était qu’une blague destinée à détendre l’atmosphère. Je ne l’entends pas de cette manière. Je vois surtout un vieil âne bourru, vous, qui tentez d’échapper à votre propre médiocrité en vous faisant passer pour un lecteur averti. Vous n’êtes pas ce lecteur. Vos commentaires sur la poésie, prestigieusement publiés dans le seul quotidien indépendant au Québec, font honte à la critique littéraire. Qui aura envie de lire de la poésie, en lisant vos affabulations saugrenues qui n’ont ni queue ni tête? Vraiment, c’est pour moi un mystère de vous retrouver, encore et toujours, à écrire sempiternellement le même papier, en changeant simplement les noms et en remplissant les guillemets par des extraits qui, le plus souvent, sont carrément sortis de leur contexte et ne servent que votre propos pétri d’égocentrisme et de mauvaise foi.

Si bien que je me demande, le plus souvent, s’il ne vaudrait pas mieux que vous n’écriviez rien du tout, et que tout ce qu’il reste de commentaire sur la poésie ne se résume aux conversations courantes. Le fantôme de Lautréamont n’est pas loin, et il se pourrait bien que nous ayons mal compris, dès le départ, sa volonté d’une poésie faite par tous. En tous cas, le critique n’a certainement pas à faire valoir son aptitude à poétiser dans un article portant sur une parution récente. Pour qui vous prenez-vous, vraiment? Je passerai sur votre propre activité dans ce domaine, tant on y rencontre à chaque page le spectacle ronflant du langage se prenant pour lui-même, une vieille littérature destinée aux pantins serviles qui utilisent la poésie pour se faire valoir. Non, la poésie n’est pas un succédané aux parties de cartes du dimanche après-midi, elle est un cri définitivement résolu à rompre les chaînes de la condition humaine. Il y a fort à parier que dans cette dernière considération, vous ne soyez pas à même de remonter le courant jusqu’à Antonin Artaud, vous qui psalmodiiez récemment sur l’intérêt des jeunes poètes d’ici pour le mouvement surréaliste, intérêt qui se résume de votre côté à croasser le mot «surréaliste» pour, semble-t-il, donner un tour savant à votre saut sans péril dans l’arène. Ne me parlez pas de surréalisme, par pitié, si dans cette formidable aventure humaine, vous ne voyez qu’un foisonnement métaphorique plus ou moins conséquent. Le surréalisme, dans ce qu’il révèle, trompe le regardeur avide de lumière dans ce qu’il occulte sans savoir au profit de la transparence. Vous êtes, à tous points de vue, ce borgne qui crève les yeux des voyants pour établir son royaume. Je trouve cela détestable et méprisant.

Évidemment, je ne vous ferai pas cachette que j’ai trouvé l’audace d’écrire cette lettre suite à la lecture de votre papier (René Lapierre et Maxime Catellier, cœurs troubles) sur ma plus récente parution, Bois de mer, chez L’Oie de Cravan éditeur. Tout en faisant mine de parcourir mes poèmes et d’avoir saisi l’essence du livre, vous faites fi de ses deux plus importants aspects. Premièrement, que ces poèmes sont accompagnés par des photographies, et de manière plus critique, que la structure de ce livre épouse, à la façon d’un miroir, celle de mon premier livre chez le même éditeur, intitulé Bancs de neige. Ne préférant pas vous mouiller en rejetant mon travail ou en en dénotant la qualité, vous avez simplement surfé sur ses mots en n’en tirant aucune substance. Les deux maigres paragraphes auxquels j’ai droit, et que vous auriez très bien pu consacrer au livre de René Lapierre, dont vous parlez d’ailleurs avec une insondable incohérence, m’ont fait penser aux deux paragraphes que vous avez négligemment écrits sur le livre de Robert J. Mailhot, Motel Éternité, dans un papier publié le 24 avril 2010, et qui portait sur Portraits de famille, un livre exceptionnel signé Jean-Marc Desgent.

Pareillement, vous mettez en parallèle l’œuvre d’un écrivain d’expérience avec celle d’un novice. Et de la même façon, vous évacuez rapidement le deuxième, dans le cas de Mailhot avec une cruauté étonnante. Que ce jeune poète se soit enlevé la vie le lundi suivant la parution de votre article ne vous incrimine en rien. Sachez que nous savons encore faire la différence entre le désespoir et l’insignifiance. Seulement, peut-être que l’insignifiance porte parfois la douleur à son point de rupture. Heureusement, je ne suis pas au bord du vide. Votre suffisance n’ajoutera pas son poids à l'asphyxiante vie que je mène, comme tous les êtres humains. J’ai, pour lui donner du souffle, une grande soif de liberté, ce mot que vous confondez probablement avec le droit de dire n’importe quoi, comme les pachydermes creux qui ont détourné un vers de Paul Éluard pour en faire un slogan proto-fasciste : LIBERTÉ! JE CRIE TON NOM. Non, nous ne sommes pas loin du totalitarisme, dans ce pays sans pays tristement meilleur que tous les autres. Vous, comme plusieurs, participez à sa faillite inéluctable.

Je vous ai fait parvenir mon livre, à votre demande, suite à une table ronde que nous avions partagée sur le plateau de l’émission Vous m’en lirez tant, sur les ondes de la Première Chaîne de Radio-Canada. Faisant fi de ma naturelle méfiance à l’égard de votre travail de critique bâclé et sournois, j’ai transmis votre souhait à mon éditeur. Sachez qu’à l’avenir, vous ne recevrez plus aucun de mes livres. Je vous tiens pour un esprit dénué de substance et incapable de vision. Jamais on ne pourra parler de poésie si on néglige de parler de la vie qui est en jeu dans tout travail de création. En plaquant votre grille bornée sur nos tentatives de déchiffrement du monde, vous vous comportez comme un curé de bas étage n’ayant rien d’autre à bénir que sa propre pauvreté sans vertu. Vous croyant médecin de la parole, vous diagnostiquez de faux cancers à des cœurs qui n’ont de cesse de battre contre les perspectives de plus en plus désolantes de ce temps.

Considérez vous soi-disant salué,

Maxime Catellier