13.4.09

Et les choses, quelle durée ?
Pierre Peuchmaurd (1948-2009)

Mon ami est mort la nuit dernière. Ce n'est pas le temps de trouver le mot juste. Il y a des animaux qu'on ne saura plus reconnaître, des colères de grandes lames qui ont perdu leur manche, des raisons de vivre qu'on ne pourra plus invoquer. Il y a les mots laissés, pour faire lever le jour, pour retrouver le jour. Elle, naturellement, elle est venue par le poumon gauche.
Leur guetteur parti, les tourterelles de Brive, du Lot et de Corrèze, ne savent plus de raison à leur vol. Nous qui n'avons jamais su voler, nous n'en savons rien non plus. Et surtout pas comment dire notre désarroi. Finalement il n'y a que Pierre qui connaissait le mot juste.

ELLE VIENDRA PAR LE POUMON GAUCHE

Elle viendra par le poumon gauche
D'abord ce sera plus chaud
et ça irradiera,
je dirai que ça ira.
Ce sera comme la neige —
je déteste la neige —
comme une gorgée de café
quand le cœur n'en veut pas.
Et puis je refuserai.
De quelle taille, le refus?
Et les choses, quelle durée?
Plus qu'une rose, moins qu'une rose?
C'est comme ça qu'on compte
quand il y a cette écume,
tout ce joli sang rose
qui vous remonte aux lèvres.
On compte en oiseaux,
en cerceaux sur le pré,
en ruisseaux dans l'été
et en éternités.
On compte sur les doigts des femmes
et les cheveux des bêtes
qui ne tombent jamais dans le lavabo,
on compte sur le beau temps
qui vous ouvre la gorge.
Elles, comme on va mourir,
elles nous ouvrent leurs robes —
on y compte.
Et comme on va partir,
elles nous laissent leur adresse
et le soir les emporte
et on va dans les bois
où il y a l'hôpital.

(écrit vers 1994)

Pierre Peuchmaurd
Parfaits dommages et autres achèvements

1 commentaire:

achillée a dit...

Quel beau poème annonciateur!
Je n'aurai jamais rencontré Pierre et je m'en mords les dents. Mais à travers sa poésie je sais que je l'ai rencontré.

Maicke Castegnier