Nous voici au deuxième mois de l'année. Déjà et encore, serait-on tenté de dire, tant on dirait qu'à Montréal février est un mois qui dure éternellement. Cette neige qui tombe, ces couloirs enfoncés que sont devenus les trottoirs, il semble qu'on ne les quitte jamais, qu'ils continuent leurs chemins de souterrains en passant sous l'été, sous les beaux jours, pour nous garder captifs de leurs parcours. Blanc et gris. Et puis, avec un peu de chance, une brisure de lumière. On les guette ces fissures, ces grands éclats qui sauvent le mois. On veut, pour l'encore et le toujours, le soleil des froids cassants, la seule, la grande joie des févriers.
L'impression de tunnel est renforcée parce qu'on travaille tête baissée. Il faut finir de mettre en page un livre qui n'est pas pour L'Oie de Cravan mais pour un éditeur de la France, les éditions des Vanneaux. Un engagement, important : c'est un ouvrage qui présente l'œuvre de Pierre Peuchmaurd. Y est reprise la présentation qu'en avait faite Laurent Albarracin dans Pierre Peuchmaurd, témoin élégant (L'Oie de Cravan, 2007) et une « anthologie portative » de textes essentiels du poète. Avec, en plus, un cahier photo, et des entrevues ; sur près de 300 pages, il y aura bien là de quoi prendre la pleine mesure de ce poète essentiel. Le livre devrait paraître pour juin. On invite à aller y voir de plus près.
En tête
Si une certaine tristesse accompagne ces jours, il faut savoir qu'elle vient d'un climat qui n'a rien à voir avec la saison : c'est d'un tout autre hiver qu'il s'agit, un hiver d'inertie. On a cru le voir se secouer les flocons, on n'a eu que déception. C'est que l'année avait commencé avec une superbe ruade : une lettre ouverte du poète Maxime Catellier adressée au critique Hugues Corriveau et au journal Le Devoir. Cette lettre nous avait semblé importante surtout pour ce qu'elle brassait du consensus paresseux du milieu de la poésie au Québec et aussi parce qu'elle pointait douloureusement l'absence de tout écho réel à l'existence d'une poésie dans le paysage médiatique du Québec. Nous l'avons publiée ci-dessous pour ces raisons. C'est une grande déception que de constater que nous avons été les seuls à le faire : aucune réaction de Hugues Corriveau, et, surtout, les gens de la rédaction et du Cahier Culturel du Devoir ont choisi de ne pas la faire paraître et de ne pas y donner le moindre écho. On me répondra qu'il n'existe pas de droit de réponse à la critique de poésie. Là n'est pas la question : Maxime Catellier adresse au journal et au critique des questions importantes pour les lecteurs de ce journal qui reste, bon gré mal gré, une des dernières voix relativement indépendantes du journalisme classique. Ceci est d'autant plus choquant que la moindre remarque négative d'un journaliste concernant l'Empire Québécor s'attire immédiatement une réplique d'un représentant dudit Empire publiée par Le Devoir sur plus d'une demi-page. Ainsi, pour avoir été égratigné par Gil Courtemanche dans une chronique récente, Pierre-Karl Péladeau s'est-il vu offrir tout l'espace voulu pour tenter d'écraser la punaise qui le démange.
Personne, et surtout pas le principal intéressé, ne nie que la réplique de Maxime Catellier lui est venue de s'être fait traiter cavalièrement par un critique. Mais il suffit de savoir lire pour constater que cette réplique touche de près à la question de la place de la poésie dans nos vies et, bien entendu, au Devoir. Et là, il y a quand même de bonnes questions qui se posent : pourquoi n'y a-t-il qu'un minuscule espace par trois semaines consacré à la poésie dans ce journal? Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul critique, une seule voix, qui y est consacrée? Hugues Corriveau, peu importe ses goûts et opinions, n'a pas à porter seul l'odieux de cette situation. La lettre de Maxime Catellier, avec ses violences et sa belle sauvagerie, affirme haut et fort que la poésie est une nécessité vitale. On aimerait lire une critique où on sent cette nécessité, on aimerait lire un journal qui sache la reconnaître.
À venir
Heureusement, il y a le jeu. Le grand jeu et les petits. On s'aime, on sème des cailloux, on perd sa propre trace et on se retrouve. Voilà ce que j'appelle l'édition de poésie. Il y a donc de nombreux projets, histoire de jouer, histoire de ne pas renoncer. On peut annoncer, d'ores et déjà, certains recueils, de notre ami Patrice Desbiens par exemple et aussi d'un Robin Aubert qui va en surprendre plus d'un. Mais auparavant, un grand lancement à la Sala Rossa de Montréal pour nos trois livres les plus récents : Holy Moly, superbe recueil de dessins de Jeff Ladouceur; C'est la guerre, une anthologie bilingue des critiques de jeunesse du journaliste rock américain Byron Coley (où on retrouve les Minutemen, David Bowie, Jim Morrison, Robert Fripp et bien d'autres, attaqués ou encensés par un critique aux grandes dents qui a toujours écrit avec passion, en prenant des risques) et les Paroles de chansons de Michael Hurley, autre anthologie bilingue, cette fois d'une légende de la musique folk américaine, Michael Hurley, actif depuis la fin des années 60, encore méconnu ici. Il a écrit des centaines de chansons dont Hog of the foresaken et Werewolf. Un grand poète de l'Amérique. Pour le lancement, qui aura lieu le 6 mai, on pourra entendre Gabe Levine, Thomas Hellman, Loren Connors, Byron Coley, Jessica et Nadia Moss et plusieurs autres qui vont chanter, réciter : jouer, pour notre grand plaisir. On en reparle.
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